1er juin 2021 : Naissance du parquet européen … et décès du juge d’instruction ?


Flash Info – 2 juin 2021 [1]

Avec six mois de retard, le Parquet européen, institué par le règlement européen du 12 octobre 2017 [2] et, en France, par la loi du 24 décembre 2020 [3], a débuté ses activités le mardi 1er juin 2021.

Un Parquet supranational à deux étages 

Le bureau central du Parquet européen, situé à Luxembourg, est composé du Procureur européen en chef et d’un Collège de 22 Procureurs européens issus chacun d’un Etat membre partie à la coopération. 5 Etats membres (Danemark, Hongrie, Irlande, Pologne et Suède) sont demeurés en dehors du dispositif.
Depuis le 16 octobre 2019 et pour une durée de 7 ans non renouvelable, les fonctions de Procureure en chef du Parquet européen sont exercées par Madame Laura Codruţa Kövesi, ancienne Procureure générale de Roumanie puis Procureure en chef de la Direction nationale anti-corruption roumaine. Celle-ci assure désormais la direction et la représentation du Parquet européen.Les Procureurs européens, chargés d’assurer la surveillance et la coordination des enquêtes et composant le Collège des Procureurs européens, ont été nommés par le Conseil de l’Union européenne le 27 juillet 2020. Pour la France, c’est Monsieur Frédéric Baab, ancien représentant de la France à Eurojust, qui a été désigné avec un mandat de six ans non renouvelable.

Le Parquet européen dispose également d’un niveau décentralisé composé deProcureurs européens délégués (PED) situés dans chacun des Etats membres parties à la coopération et chargés des enquêtes, des poursuites et du renvoi en jugement des auteurs d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.
Parmi les 88 Procureurs délégués déjà nommés, 4 ont été désignés pour la France : Monsieur Emmanuel Chirat, ancien Vice-Procureur de la République au sein du Parquet national financier, Madame Cécile Soriano, ancienne Administratrice de l’unité en charge de la criminalité financière au sein de la Commission européenne, Monsieur David Touvet, ancien Avocat général près la Cour d’appel de Nancy et Madame Mona Popescu, ancienne Vice-Procureure de la République près le Tribunal judiciaire de Bordeaux.Un champ de compétences extensible

Le Parquet européen est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne et prévues par la directive du 5 juillet 2017 [4], telles que les détournements de fonds européens, la corruption active et passive, la fraude transfrontalière à la TVA lorsqu’elle implique au moins deux Etats membres et des montants de plus de 10 millions d’euros, certains délits douaniers et le blanchiment d’argent de ces délits.

Selon l’étude d’impact réalisée à la demande du Gouvernement français, entre 60 et 100 dossiers par an, du Parquet national financier, des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou des douanes, pourraient faire l’objet d’un dessaisissement au profit du Parquet européen.

À peine né, le Parquet européen fait déjà l’objet de discussions concernant une extension de son champ de compétences, qui pourrait à terme inclure les infractions de terrorisme.

Des Procureurs français dotés de superpouvoirs 

Les PED territorialement compétents mènent, dans chaque Etat membre, les investigations nécessaires dans le respect de leur procédure nationale.

En France, la loi a institué un cadre procédural inédit, combinant l’enquête et l’instruction.

Les 4 PED exercent les attributions du Procureur de la République ainsi que celles du Procureur général près la Cour d’appel.

Ce n’est pas tout. La loi prévoit que lorsqu’il est nécessaire de mettre en examen une personne, de la placer sous le statut de témoin assisté ou de réaliser des investigations qui ne peuvent être ordonnées qu’au cours d’une instruction, le PED conduit les investigations conformément aux dispositions applicables à l’instruction [5]. Aucun recours n’est prévu contre le choix du cadre d’enquête opéré par le PED.

Le PED se substitue ainsi au Juge d’instruction, mis hors jeu. Il peut prendre à sa place toutes décisions en matière de mise en examen, d’interrogatoire et de confrontation, d’audition de témoins, de recevabilité de la constitution de partie civile et d’audition de cette dernière, de transport, de commission rogatoire, d’expertise, de placement sous contrôle judiciaire ainsi que de mandats de recherche, de comparution ou d’amener.

A certains égards, le PED dispose même de pouvoirs plus étendus que le Juge d’instruction puisqu’il échappe, en cours d’enquête, au pouvoir d’évocation de la Chambre de l’instruction de Paris [6]. A noter tout de même que le pouvoir de prendre une mesure d’assignation à résidence sous surveillance électronique ou de décerner un mandat d’arrêt est réservé au Juge des libertés et de la détention, qui garde également la main sur le placement en détention provisoire et sa prolongation [7].

A l’issue de ses investigations, le PED procédera au règlement du dossier et rendra son ordonnance dans les mêmes conditions qu’un Juge d’instruction, sous le contrôle d’une Chambre permanente du Parquet européen composée en principe du Procureur en chef du Parquet européen et de deux Procureurs européens. Conformément à la décision prise par la Chambre permanente, le PED pourra prononcer un non-lieu, renvoyer la personne concernée devant le Tribunal correctionnel de Paris ou proposer de faire application de procédures simplifiées (procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, convention judiciaire d’intérêt public) [8].

Un requiem pour le Juge d’instruction à la française ?

En somme, le Parquet européen constitue une nouvelle hydre procédurale avec laquelle les praticiens vont devoir se familiariser et face à laquelle la défense va devoir sécuriser sa place.

Des réactions rapides sont d’autant plus nécessaires que ce Parquet d’un nouveau genre apparaît comme un laboratoire des bouleversements que d’aucuns cherchent, depuis quelque temps déjà, à imposer à la procédure pénale française.

Parmi ces mutations, il y a bien sûr le projet – éminemment critiquable s’il en est – de faire disparaître le Juge d’instruction. Cette figure du paysage judiciaire, présentée comme moribonde, est pourtant encore présente dans 10 des 22 Etats membres ayant institué le Parquet européen.

En ce début du mois de juin 2021, alors que les Procureurs européens poussent leur premier cri, certains croient entendre alentours quelques derniers soupirs… L’avenir dira si c’était une méprise.


[1] Nous remercions Mathieu Lanteri pour son aide précieuse dans la préparation de cette brève.
[2] Règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen.
[3] Loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.
[4] Directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2019-693 du 18 septembre 2019 relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne au moyen du droit pénal.
[5] Article 696-114 du code de procédure pénale.
[6] Article 696-110 du code de procédure pénale.
[7] Articles 696-120 et 696-124 du code de procédure pénale.
[8] Article 696-132 du code de procédure pénale ; article 35 du Règlement précité du 12 octobre 2017.

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